samedi 20 septembre 2014

Auto-critique

"Chiant qui comme Ulysse a fait un beau voyage". C'est le début du micro-livre de Matthias Debureaux (40 pages) qui s'intitule "De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages" paru aux éditions Cavatine.



Dès le début, l'objet est clair: 
Chiant qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage. Car pour quelques bouches d’or aux récits merveilleux, combien de fâcheux et d’importuns. Combien de Carthaginois mythomanes brodant sur leur virée à dos d’éléphant. Combien de Vikings ressassant leurs viols sous les étoiles ou en trinquant des cornes éclaboussantes d’hydromel. Combien de chevaliers gâchant de somptueux banquets en étalant leurs croisades et leur façon très personnelle d’embrocher les Sarrasins. Combien de pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle exhibant fièrement leurs pieds endoloris. Imagine-t-on le calvaire des compagnons de cellule de Marco Polo soumis des jours durant au feu de ses tribulations sur la route de la soie ? On ne soupçonne pas non plus le cauchemar enduré par les épouses des marins engagés aux côtés de Christophe Colomb. Une vie entière à supporter les mêmes fables.


Cela rappelle inévitablement les soirées diapos en famille ou chez des copains rentrant, enthousiastes, d'un tour du monde d'une année à la fin de leurs études. Ou la version moderne, le blog de voyage de filles trop peu douées de leurs mains pour aller aux cours de céramique ou de macramé. 

Le plus drôle sont les conseils données pour captiver l'auditoire et, l'air de rien, ramener les spectateurs à leur morne condition d’obtus sédentaires ou, pire encore, de touristes. Car l’exploraseur, voyez-vous, ne fait pas de tourisme, il voyage! 

Mais Matthias Debureaux n'est pas que critique, il donne aussi de "fabuleux" conseils pour animer ses récits et captiver ses amis. Quelques exemples toujours utiles: 
  • Ne dites pas "j’ai passé deux mois en Inde", mais plutôt "j’ai vécu dix semaines et demi en Inde." 
  • Soyez tactile. Un récit de voyage doit être une fête des sens. Laissez déborder votre chaleur humaine en saisissant épaules et poignets de votre auditoire. Insérez des dialogues, imitez les accents locaux et mimez les scènes (…).
  • Choisissez de vrais gens et des petits métiers perpétuant des traditions centenaires (ermites des taïgas, sherpas du Khumbu, éleveurs de yacks) en feignant de croire que les huissiers de justice et les agents d’assurance n’existent pas à l’autre bout du monde. Rappelez la joie de vivre du berger dropka des hauts plateaux, la patience du nettoyeur d’oreilles de Bombay ou le rayonnement de la vendeuse de fruits de Phnom Penh mais jamais celui du guichetier qui a changé vos Travellers chèques.
  • Et ce dernier, très pratique lorsqu'on est à cours d'arguments. Déclarez votre flamme pour le fascinant mélange de tradition et de modernité. L’argument est pratique car peu de capitales échappent à cette règle.

Je vais aller le réviser de ce pas et faire mon auto-critique en méditant cette citation du vieux Sacha Guitry qui sur ce sujet, comme sur tant d'autres, avait une idée bien arrêtée:
Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres
une fois qu’on est revenu



5 commentaires:

  1. Heureusement il y a aussi ceux qui racontent leurs voyages tout simplement pour partager de bons moments et qu'on écoute ou qu'on lit pour le plaisir de découvrir de belles histoires...

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    1. Et bientôt, nous aurons un post sur Agadir et même un peu plus ;-)

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  2. J'adore! Et puis si j'osais je l'offrirais à mon beau pour noël... c'est quand même trop bon, je crois que je vais oser!

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